En opposition totale aux travaux de Tony Cragg dont les accumulations de débris colorés urbains ne sont traités et arrangés que dans un registre formel réducteur qui ne se réfère qu'à la composition visuelle et sont résultats décoratif convenu, au lieu d'évacuer tout sens de l'origine des objets et leur fonction symbolique, au contraire, je veux évacuer ce parti pris et questionner le choix des couleurs dans l'organisation sociale générale, rendre compte du vécu médiatique des couleurs, leur statu quo, évoquer les spectres et les stéréotypes (races, patries, religions, morales...). Quels liens entre l'étoile jaune et le maillot jaune ? Entre le blanc de l'innocence et l'argent blanchi, le noir standing et le noir dépressif, le rouge du père Noël et le rouge du communisme...Que se passe-t-il lorsque l'on met en scène le scénario de l'homogénéité, de la pensée unique, du territoire purifié, intègre, radical ? La démonstration d'une harmonie flagrante non parasitée, pure en apparence, nous séduit de par sa beauté, son harmonie, sa cohérence, son élégance, son ordre fabriqué, affirmé, établi. Un monde classé, répertorié, catalogué et formel selon la logique d'un point de vue unique et déterminé, soit une couleur, imposer sa conviction, sa vérité et bonnifier l'idée de zone et de ghetto. Il induit alors des métaphores évidentes propres aux idéologies nationalistes, intégristes et totalitaires. Le résultat fonctionne plastiquement et ça fait peur ! Quelle est cette fascination éprouvée ? De cette beauté apparente se trame le pire...
Sinon, est-ce que l'hétérogénéité des éléments unifiés et rassemblés par le recouvrement d'une couleur unique suppose que cet ordre établi provient d'un chaos. Doit-on parvenir à cet ordre apparent plutôt que de laisser les pluralités se disperser, se traverser, se mixer, se barbouiller en désordre. Et par quel consensus rassembleur, pour quelle neutralité camaïeu faudrait-il rendre formelles les divergences des réalités hybrides et bariolées ?
Le monochrome et la couleur pure sont-ils l'aboutissement d'une utopie fanatique et d'une sublimation d'un monde homogène universel, ou énonce-il la multiplicité fragmentaire compressée et unifiée dans une apparence perceptive et globalisante ?
Du jaune pur / rouge pur / bleu pur de Rodtchenko au rouge / bleu / blanc de Kieslowski, serions-nous tous atteints d'un daltonisme culturel ? Les codes et les grilles de représentation n'étant jamais équivalents les uns des autres; si la couleur fluctue effectivement, l'impression des couleurs, voire leur confusion, peuvent produire un nivellement grave et opéré à des états conducteurs banalisant et contaminants.
A quel moment pouvons-nous discerner que la couleur est le médium ou que la couleur est le message.
Est-il possible d'avoir la même délectation et le même trouble en éprouvant le rouge Matisse, le rouge de Peter Greenaway dans "Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant", le rouge à lèvres, le rouge marxiste ou le rouge du sens interdit...
Bertrand Lavier a mis le doigt sur l'ambiguïté d'un de ces phénomènes en peignant deux monochromes rouge géranium mais de marques différentes.
La séduction et la délectation des couleurs vives qui font l'agrément joyeux est le confort d'expressivité de notre quotidien (à savoir une certaine conception de la vie en rose, sic !) ne doivent pas occulter leurs tensions hiérarchiques et leurs signifiants idéologiques. Ce n'est surtout pas un hasard si le système totalitaire nazi s'est approprié les couleurs pour répertorier et classifier les zones spécifiques des camps de concentration en signalant par des triangles de couleurs les groupes: triangle vert pour les criminels de droit commun, triangle noir pour les associaux, triangle bleu pour les émigrés, triangle rouge pour les prisonniers politiques, triangle rose pour les homosexuels, jaune pour les juifs...
Si Marcel Duchamp revendique la couleur verbale pour justifier du flou des titres de ses pièces, dans la grisaille actuelle, la couleur peut-elle avoir de nouveaux sens ou bien la couleur n'est-elle effectivement qu'un recouvrement (camouflage, maquillage, dissimulation) que dire du blanc fabriqué de la peau de Michael Jackson ?
Est-ce que la couleur annonce la couleur ?
J'inaugure ce nouveau travail épidémik le 26 Mars 1996 à la ferme du Buisson et sur Internet en présentant mon projet de banque de couleur (banque de données et fiction de structure boursière).
Décembre 1995. Joël Hubaut. ![]()