Après avoir découvert le livre de Charles Bonnet, Morsier, neurologue suisse, du début du siècle propose le nom de Charles Bonnet à un syndrome qui regroupe chez le sujet âgé indemne de tout trouble neurologique et psychiatrique : une pathologie ophtalmologique et des hallucinations visuelles complexes critiquées par le patient.
Ces hallucinations appartiennent selon Jean Lhermitte au champ des hallucinoses : le sujet a conscience de ses hallucinations, les critique et ne construit aucun délire pour les justifier. Cependant dans l'hallucinose pédonculaire ou toxique, il existe constamment une confusion mentale absente dans le CBS.
L'épilepsie temporal avec les épisodes de "déja vu", de sensations d'étrangeté suivies parfois d'hallucinations auditives, olfactives ou visuelles complexes constitue un second diagnostic différentiel. Mais, dans ces cas, on retrouve fréquemment une lésion cérébrale épileptogène et un foyer temporal, à l'électro-encéphalogramme. Les épilepsies occipitales (la décharge électrique débutant au niveau de l'aire corticale visuelle) sont surtout responsable d'hallucinations visuelles élémentaires (typiquement des formes arrondies ou sphériques colorées).
Des épisodes de migraines peuvent s'accompagner d'hallucinations visuelles élémentaires lorsque le cortex occipital est mis en jeu, mais la survenue d'hallucinations visuelles complexes est possible bien que rare, comme dans le cas décrit par Lindler et al. en rapport avec une lésion occipitale corticale.
Au cours des démences cérébrales, des hallucinations visuelles complexes surviennent constamment au cours de la maladie des corps de Levy diffus et parfois lors de la maladie d'Alzheimer. Cependant les examens neuropsychologiques et notamment le MMS sont très perturbés.
Des hallucinations visuelles complexes peuvent être consécutives à un accident vasculaire cérébral dans le territoire de l'artère cérébrale postérieure. Elles ont pour caractéristique d'être localisées dans le champ visuel déficitaire amputé (le plus souvent en rapport avec une hémianopsie latérale homonyme). Les hallucinations sont le plus souvent transitoires et le scanner cérébral visualise une hypodensité occipitale témoin de l'accident vasculaire.
Enfin les hallucinations visuelles complexes peuvent aussi entrer dans le cadre d'une pathologie psychotique comme la schizophrénie. Cependant elles sont rarement isolées et on rencontre aussi des hallucinations auditives, olfactives et cenesthésiques justifiées par un délire plus ou moins cohérent.
Les hallucinations lilliputiennes peuvent être liées à des pathologies très diverses (tumeurs du tronc cérébral, toxiques, alcool, hallucinogènes, etc..) et ne constituent en aucun cas un signe pathognomonique de CBS. Dans l'étude rapportée par Teunisse et al. en 1996 sur soixante patients qui répondaient au critère de CBS, 3% avait des hallucinations lilliputiennes alors que 80% voyaient apparaître des personnages de taille normale. Les visions de végétaux (plantes et fleurs) et colorées comme chez notre patiente étaient retrouvées respectivement dans 25% et 63% des cas. Enfin, comme pour 65% des patients, les visages et l'aspect des personnages étaient complètement étrangers à madame G. Ces hallucinations étaient stéréotypées quant à leur contenue et leur durée (chaque épisode durant environ quinze minutes). A la différence de la majorité des patients de Teunisse pour qui les signes ont persisté au cours du temps, la symptomatologie s'est amendée en quelques semaines. Madame G. était amusée par ses visions, jamais inquiète, ce qui semble plutôt atypique si l'on se réfère à la publication de Teunisse (13% seulement étaient amusés contre 37% d'inquiets). Les hallucinations survenaient pendant des moments ou à des endroits de faible luminosité comme il est classique de le constater dans le CBS.
De plus comme dans la publication de Alroe et al., les troubles sont survenus chez une femme vivant seule, le célibat ou le veuvage constituant un facteur de risque.
Schultz et al. ont testé les performances cognitives de 14 patients atteints de CBS et aucun n'avait de troubles mnésiques ou un déficit des performances instrumentales (langage, gestes et gnosies) tout comme madame G. A noter qu'une patiente avait eu aussi des hallucinations à type de petites silouhettes se déplaçant sur l'écran de télévision.
Le mécanisme des hallucinations est encore très discuté mais une des hypothèses les plus séduisantes est celle du phénomène de déafférentation sensorielle. Comme dans le syndrome du membre fantôme ou le patient amputé a parfois l'impression de ressentir des paresthésies au bout de ses doigts manquants. On peut imaginer que la défaillance acquise de voies sensorielles périphériques (cataracte, rétinopathie, etc..) conduisent à une production sporadique et anarchique de signaux (responsables d'hallucination) émanant des aires corticales visuelles hypostimulées. Reste à savoir pourquoi ces hallucinations sont complexes et non élémentaires. Chez madame G. la cataracte bilatérale nous a semblé être la cause de la symptomatologie bien que très rarement reconnue responsable dans l'étude de Teunisse et al. (moins de 10%), les patients présentant majoritairement des anomalies rétiniennes.
Il existe un équivalent auditif au syndrome de CBS et nous avons d'ailleurs rencontré dans le service un cas d'hallucination complexe auditive chez une patiente très cultivée, passionnée de musique classique et présentant une presbyaccousie : cette patiente entendait, depuis plusieurs années, une symphonie qui lui était inconnue, quatre à cinq fois par jour. Aucun traitement (pas même l'appareillage auditif) n'a amélioré la symptomatologie. Dans ce cas aussi, il existait un dysfonctionnement des voies sensorielles périphériques, responsable probablement d'une déafférentation du cortex auditif et secondairement des hallucinations auditices complexes.