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![]() ![]() à Emmanuelle Gall |
"L'esprit d'observation n'est point borné à un seul genre: il est l'esprit universel des sciences et des arts." Charles Bonnet La première édition des "Voyages de Gulliver" de Jonathan Swift (1664-1745) parait en 1726. Gulliver est un jeune aventurier qui apprend la médecine dans les faubourgs de Londres avant d'accepter un poste de chirurgien à bord de L'Antilope en 1699. Après quelques semaines de traversée très difficile, le navire se brise au cours d'une tempête. Seul rescapé, Gulliver échoue sur l'île de Lilliput et s'assoupit, épuisé. Puis, il est réveillé par d'étranges sensations qu'il décrit de la façon suivante: "Je sentis remuer quelque chose de vivant sur ma jambe gauche, puis cette chose avançant doucement sur ma poitrine arriva presque jusqu'à mon menton; infléchissant alors mon regard aussi bas que je pus, je découvris que c'était une créature humaine, haute tout au plus de six pouces, tenant d'une main un arc et de l'autre une flèche et portant un carquois sur le dos. Dans le même temps, je sentis une quarantaine au moins d'êtres de la même espèce ou qui me parurent tels, grimpant derrière le premier. J'éprouvai la plus inimaginable surprise et poussai un cri si étourdissant qu'ils s'enfuirent tous épouvantés." Dans son Essai analytique sur les facultés de l'âme, publié en 1760.le philosophe suisse Charles Bonnet rapporte le cas de son grand-père Charles Lullin qui fut opéré d'une cataracte à l'âge de 78 ans et développa des hallucinations visuelles complexes mobiles et colorées dix ans plus tard. A son sujet Charles Bonnet raconte: "son cerveau est un théatre dont les machines exécutent des scènes, qui surprennent d'autant plus le spectateur qu'il ne les a pas prévues." En 1909, Leroy isole le syndrome des hallucinations lilliputiennes, en dehors de toute micropsie, lié le plus souvent à une prise de toxique (alcool, cocaïne, chloral, haschich, etc.) ou rencontré au cours de la paralysie générale (syphilis tertiaire) ou dans le cadre des hallucinations hypnagogiques. Leroy parle "d'hallucinations visuelles minuscules, colorées, avec un état affectif généralement agréable" pour ajouter plus loin "le délire n'est que la réaction de la cellule nerveuse malade, qui souffre." En aucun cas ce type d'hallucinations n'est considéré comme d'origine extra-neurologique. On doit par contre à Flournoy la première description d'hallucinations lilliputiennes au cours d'un CBS chez un patient âgé de 86 ans atteint de cataracte. Flournoy compare son patient à celui de Charles Lullin. En effet celui-ci, très érudit va jusqu'à tenir le journal de ses hallucinations qu'il dicte à sa femme de chambre, pour la postérité. Flournoy rapporte des extraits du livre écrit par "cet homme,...bien orienté, donnant des réponses correctes à toutes mes questions et décrivant les visions qui lui tenaient compagnie depuis 6 ans, indemne de tout trouble de la mémoire." Quant au contenu des hallucinations, Flournoy les décrit comme "multiples, colorées, mobiles, agréables, souvent cinématographiques, donnant parfois l'impression d'un spectacle splendide". Jonathan Swift avait-il alors un syndrome de Charles Bonnet et son histoire lui aurait-elle été dictée par des hallucinations tout aussi splendide? |